mardi 25 juillet 2023

Gaston Nitzer : INTRODUCTION

 

 GASTON NITZER,

1888-1961


(page établie par Nadia Pla, son arrière-petite-fille, en 2001)
 
 
Qui est Gaston Nitzer?

Gaston Nitzer est né en 1888 à Saint-Hippolyte dans le Doubs, petite ville qui, malgré sa taille, fut toujours prospère au cours des siècles de par sa position exceptionnelle au pied des montagnes du Jura, au confluent du Doubs et du Dessoubre.

Les vastes forêts qui l'entourent (cf.photo) et ses deux rivières ont permis le développement de scieries et de tanneries (comme celle du père de notre héros) ; quant aux pâturages des hauts plateaux (cf.photo), ils favorisent un élevage bovin auquel on doit la production du délicieux fromage "Comté".

Le Saint Suaire, aujourd'hui à Turin, y fut conservé entre 1418 et 1452 ; au XVIIe siècle, Jacques et Guillaume Courtois, devenus des peintres célèbres en Italie sous le nom de "Borgogneni", c'est-à-dire "Bourguignons" (cf. la "Via dei Borgogneni" à Rome), étaient originaires de Saint-Hippolyte .

Enfin, la cité est réputée dès le XIVe siècle pour son école (fondée par les chanoines), d'où sortiront plusieurs personnalités, et à laquelle vient s'ajouter au XVIIe siècle une école de jeunes filles fondéee par les Ursulines.


Vue panoramique de Saint-Hippolyte

Le père de Gaston, Emile Nitzer, était tanneur et a reçu, en sa qualité de maître artisan, une médaille à l'Exposition Universelle de Paris en 1900. Sa mère, Maria Bailly, avait des doigts d'or, à qui l'on confiait tous les petits travaux requérant de la minutie, de l'arrachage de dents ou de "faux cils" au métier du "lapidaire" (taille et perçage des pierres précieuses destinées à la fabrication de petits éléments des mécanismes d'horlogerie).

La tannerie de Charles Briot, où travaillait Emile Nitzer à Saint-Hippolyte

Gaston Nitzer passe à 12 ans son Certificat d'Etudes. A 16 ans, en 1904, l'acquisition du Brevet Elémentaire lui permet de passer le concours de l'Ecole Normale de Besançon, qu'il réussit brillamment, 5e sur 19 reçus. Il y passe trois ans, au terme desquels il obtient en 1907 son Brevet Supérieur et un Diplôme de maître de gymnastique.

Suit une période de deux ans où il enseigne en tant que stagiaire, effectuant des suppléances de quelques jours à quelques mois, au gré des besoins dans l'académie : en novembre 1907, il est à Valentigney, en décembre à Chamesol, en janvier 1908 à Audincourt et en février-mars à Rosureux. Il passe plusieurs mois, de mars à septembre, à La Chapelle-des-Bois, et la totalité de l'année scolaire 1908-1909 à Valoreille. Après une convocation au service militaire à la suite de laquelle il est temporairement réformé pour raisons de santé, il passe l'année scolaire 1909-1910 à Morteau. C'est au cours de cette année qu'il est titularisé, après l'obtention de son Certificat d'Aptitudes Pédagogiques, qu'il avait passé lorsqu'il était à Valoreille.

De 1910 à 1912, il effectue son service militaire: il en profite pour participer en 1911 à Joinville-le-Pont à un stage de gymnastique, qui lui permet d'obtenir un Diplôme d'aptitude à l'enseignement des exercices d'éducation physique.

En 1912, il est nommé comme titulaire à Pont-de-Roide.

La guerre viendra l'y rejoindre en 1914. Il passe d'abord un an en Alsace, à l'Hartmannswillerkopf ; puis, en 1915, son contingent est emmené vers une destination secrète. C'est à Salonique que le voyage se terminera, et Gaston Nitzer vivra pendant deux ans la guerre dans les Balkans. En 1917, il est évacué après avoir contracté le paludisme, et il finit la guerre en France ; mais il conservera toute sa vie des séquelles de cette grave maladie ainsi que des gaz de combat dont il a subi les effets.

En 1919, il épouse Marguerite Lonchamp, originaire de L'Isle-sur-le-Doubs. Ils auront trois enfants, une fille et deux garçons, dont mon grand-père.

La même année, il retrouve son poste de Pont-de-Roide, où il reste jusqu'en 1923. Il accède ensuite à la charge de directeur, qu'il exerce d'abord à Charquemont de 1923 à 1927. Depuis son séjour à Valoreille, il assurait en plus de l'enseignement primaire un cours d'adultes. A partir de 1927, il finit par y renoncer, car s'ajoute à sa charge de directeur celle de responsable du cours complémentaire : ce cours permettait aux plus brillants éléments des classes défavorisées de poursuivre une scolarité au-delà du Certificat d'Etudes. Cette scolarité durait quelques années (classe d'âge correspondant à peu près au collège actuel) au terme desquelles les élèves passaient le Brevet Elémentaire, qui leur permettait de se présenter à des concours administratifs ou de la fonction publique. C'est le cursus que Gaston Nitzer avait lui-même suivi.

Avec ces deux charges de directeur d'école et de directeur du cours complémentaire, il exerce d'abord à Saint-Hippolyte, pays de son enfance, de1927 à 1932. Puis, passant de la petite ville au gros bourg, il retourne à Pont-de-Roide, lieu de son premier poste, de 1932 à 1936. Enfin, il achève sa carrière à Besançon, centre de l'académie et chef-lieu du département, de 1936 à 1946. 

L'ancien couvent des Ursulines à Saint-Hippolyte ; il avait été transformé en école ; lors de sa charge de directeur, Gaston Nitzer y enseigna et y habita avec sa famille.

Au terme de sa carrière, une deuxième guerre vient le surprendre. Lors de la débâcle de l'été 1940, il reçoit l'ordre de se rendre vers le sud. Il part avec son épouse et les enfants, adolescents, ainsi qu'un chien adopté sur le chemin et deux professeurs de l'Université de Besançon. Ils s'arrêtent à Montauban, mais dès la fin de l'été, les autorités du Rectorat, qui ont repris les choses en main, lui assignent un poste à Vichy. Gaston Nitzer y exerce donc durant l'année scolaire 1940-41. Dans l'urgence, il vit quelque temps avec sa famille sur la paille des boxes à chevaux du champ de courses, puis, l'automne venu, dans les couloirs de l'école, sans aucune aisance domestique ni sanitaire. Finalement, en 1941, toujours sur ordre du Rectorat, mais au risque de leurs vies, ils rentrent dans la Zone Occupée, et Gaston Nitzer reprend son poste de Besançon.

En 1935, l’Éducation Nationale lui décerne une médaille de bronze. En 1942, il reçoit la médaille d'argent.

"Education Nationale"
"Corbin" (nom du sculpteur)

"Tous les enfants de France sont mes enfants"
"G. Nitzer 1942"

 

La rédaction de son cahier est une suite objective d'informations administratives. Pourtant, il me semble que ce ne doit pas être sans émotion qu'il y a écrit ces mots:

" 13 juillet 1946: dernier jour de classe."
 

Il meurt en 1961.

 

*

 

Gaston Nitzer, un instituteur de la IIIe République : https://gastonnitzer.blogspot.com/2023/07/gaston-nitzer-un-instituteur-de-la-iiie.html

Contexte historique pour comprendre le journal de guerre de Gaston Nitzer : https://gastonnitzer.blogspot.com/2023/07/contexte-historique-pour-comprendre-le.html

Le journal de guerre de Gaston Nitzer : https://gastonnitzer.blogspot.com/2023/07/le-journal-de-guerre-de-gaston-nitzer.html

Annexes du journal de Gaston Nitzer : https://gastonnitzer.blogspot.com/2023/07/annexes-du-journal-de-gaston-nitzer.html

 

Le journal de guerre de Gaston Nitzer

 

JOURNAL DE GUERRE DE GASTON NITZER

1914-1918

 

D'où viennent les documents reproduits ici?

Mon grand-père a conservé de son père Gaston Nitzer deux documents originaux :

- Un carnet (composé d'un agenda relié et de feuillets volants, mais soigneusement pliés à l'intérieur) sur lequel Gaston Nitzer a tenu son journal pendant toute sa mobilisation, de 1914 à 1918. Il s'agit d'un brouillon non retouché, pas toujours facile à déchiffrer, d'où parfois certaines hésitations de transcriptions, notamment sur des noms propres.

- Un album de photos prises de 1914 à 1916, que Gaston Nitzer a lui-même constitué après la guerre, accompagnant chaque photo d'une légende élégamment tracée à la plume. Ces photos ont-elles été prises par Gaston Nitzer lui-même? Certaines, sans doute (il me semblait avoir entendu raconter qu'il était parti avec un appareil photo, mais je n'en suis plus si sûre), mais pas toutes. En effet, ce fut une surprise mutuelle pour le descendant d'Alexandre Plaforêt et pour moi-même de découvrir des photos identiques dans les archives de nos grand-père et arrière-grand-père respectifs! Après réflexion, nous avons pensé que certaines au moins de ces photos, si ce n'est toutes, avaient sans doute été exécutées par des photographes accrédités qui suivaient l'armée et développaient leurs photos sur place pour les vendre aux soldats.

Pour l'agrément du lecteur, j'ai choisi d'insérer les photos au texte.

En bleu dans le texte : les notes

En vert dans le texte : les variantes et les notes concernant l'établissement du texte

 

1914

Août et septembre

Du 1er août au 25 septembre loger successivement Bosmont, Bavillers Bechard, Bosmont, Cougenel.

26 sept Départ. A Petitefontaine, aéroplane allemand jette bombe, fusillade française. Aucun résultat. Allerviller, petit poste. Très froid.

27 Vu G. Parachie.

28 au soir Retour à Lauw. Garde de police, reconnaissance.

30 Vu 2 prisonniers allemands dont 1 sous-officier pris par les douaniers de Masevaux.

 

Octobre

Du 1er au 2 octobre petit poste cote 408 entre Morzviller et Sentheim, couché dans abris en branchages à la lisière d'un bois.

3, 4 garde police Lauw. Barricade le pont.

grand garde Morzviller.

Nuit du 5 au 6 petit poste dans le bois, il pleut. Le matin, construction d'une cabane de bûcheron.

Le 7 la compagnie monte à Morzviller.

Nuit du 7 au 8 couché avec Andréoletti dans un lit de l'instruiseur.

Le 8 après-midi occupons tranchées entre Morzviller, Soppe-le-haut, Sentheim : à notre droite 2 batteries artillerie envoient à 4000m quelques obus sur les tranchées allemandes. Pas de réponse.

Du 8 au 13 rien ne change.

Le 13 départ à 14h pour Belfort, caserne du Bosmont.

Le 20 100 camarades sont allés renforcer sur le front les compagnies du 172 et du 171 ; 60 pertes le matin au 171 ; 40 le soir au 172. Les deux Bellelle [?] sont partis. Départ très triste presque lugubre à la tombée de la nuit. Daessle et Beaugeon ont pleuré. J'ai le cafard.

 

Novembre

Le 1er Marguerite et Henri viennent me voir. (La soeur et le frère de Gaston)

Le 7 c'est le tour de maman. Elle a bien pleuré en partant. Je suis bien triste. Je devais partir le 8. Il y a eu contre-ordre.

 

Décembre

Le 6 à 11h1/2 ai reçu ordre de partir au 372e. Embarqué au tram électrique à 4h. Arrivé à Suarce 5h, à Lepuix 6h. Marche de nuit jusqu'à Friesen 8h , à 2h du matin une maison grille.

Départ le 7 à 8h pour Hindlingen. Suis versé à la 19e compagnie avec Cuenin, Romain, Voynet, Chalilain.

Vu le 8 dans la tranchée les allemands enterrant un des nôtres à 12 heures.

Vu le 9 Mme Cuenin.

Du 10 au 11 garde police.

Du 12 au 13 tranchée. Rentrons à Hindlingen puis retournons à Friesen.

Du 15 au 16 tranchée. Beaucoup de boue.

Du 19 au 20 tranchée.

Du 23 au 24 grand garde

Le 24 au soir réveillon.

Le 25 canonnade à 13h. Fusillade jusqu'à 4h. C'est le 6e bataillon qui est engagé.

Du 27 au 28 tranchée. Canonnade sur notre gauche.

 

 

1915

Janvier

Du 31 déc au 1er janvier 1915 tranchée, à 23h20 à notre droite coups de fusils comme vÏux de bonne année. A 0h2 on se serre la main dans la cabane. Au retour passons à Largitzen déposer deux couronnes sur les tombes de deux camarades. Défilé et présentation des armes devant les tombes. Le soir gueuleton.

Le 3 travail à la grand garde

Du 4 au 5 tranchée.

Du 8 au 9 tranchée. En rentrant le 9 allons occuper pour 3 jours un baraquement en bois baptisé "Villa Joffre", construite en charpente et planches, couverte en carton goudronné. Deux bas flancs superposés de chaque côté, double planche à pain. Sortie à chaque extrémité. Deux fourneaux. Crochets de suspension pour les équipements. Petites fenêtres à l'étage.

Le 10 capturons deux chevreuils et environ 100 kgs de carpe.

Le 11 assiste à Friesen à l'enterrement d'un camarade tué le 4/12 et retrouvé le 10/1/15. une escouade en armes baïonnette au canon rend les honneurs à la porte de l'église.

Du 12 au 13 tranchée. La nuit vers 20h les Allemands lancent des fusées sur notre tranchée.

Le 13 changeons de cantonnement.

Du 16 au 17 occupons tranchées du 6e bataillon. La nuit, fausse alerte. Les sapeurs du génie lancent des fusées.

Du 20 au 21 tranchées.

Du 23 au 24 tranchées.

Du 27 au 28 tranchées. Branle-bas. Vers 12h Verjus va avec les 5e et 7e escouades commencer l'attaque. Vers 15h toutes les compagnies suivent, violentes canonnade et fusillade. Les obus français éclatent à environ 100m devant nous. Les sapeurs du génie ont fait plusieurs brèches dans les réseaux de fil de fer ennemis. Vers 17h ordre de se replier. La Compagnie a perdu 3 tués et 8 blessés.

Le 29 la Compagnie assiste à l'enterrement des 8 camarades tués au cours du combat. Inhumation à Largitzen (C'était une diversion).

 

Février

Du 31 janv au 1er fév tranchées.

Du 4 au 5 tranchées.

Du 8 au 9 tranchée. Le 9 à 0h15 les ennemis arrivent jusqu'aux réseaux et tirent sur les sentinelles qui se retirent en repartant. Fusillade intense pendant presque une heure. De 3h30 à 4h30 nouvelle édition. La 17e vient renforcer. Chez nous aucune perte.

Du 12 au 13 tranchée.

Du 16 au 17 tranchée.

Du 20 au 21 tranchée.

Les 21, 22, 23 en réserve dans les baraquements.

Du 24 au 25 tranchée.

Du 28 au 1er mars tranchée.

 

Mars

Du 22 au 23 tranchée. Le 22 à 18h nous entendons sonner les cloches de France et celles des villages alsaciens que nous occupons. C'est pour nous un réel plaisir car ce son nous est inconnu depuis longtemps. Les clairons et tambours sonnent des marches à Friesen. Coïncidence, la cheminée de notre abri s'enflamme. C'est un feu de joie en l'honneur de la prise de Przemyls. La 4e section tire des feux de salve. Chante la Marseillaise, Le chant du départ, les Allobroges. Les boches en face répondent.

Le 23 en rentrant les boches bombardent Friesen, ils l'encadrent, 3 écoliers venant d'Hindlingen sont blessés.

 

Avril

Nuit du 6 au 7 dernière nuit aux tranchées. Sommes relevés par le 98e territorial. Départ du bois à 5h. Passons à Friesen, Lepuix, Courtelevant, Florimont, Faverois, Joncherey et arrivons à Grandvillars à 12h. Journée épouvantable, pluie continuelle perce jusqu'aux os.

Le 9 vu maman et Marguerite.

Le 17 passe à la 17e.

Le 18 vu papa et maman.

Le 22 passons à Frais une revue du Général Joffre.

Le 25 allons à Brébotte. Vu Marguerite, venue de Grandvillars à Brébotte.

 

 

Mai

Le samedi 1er mai partons à Reppe en passant par Eschène, Rechotte, Novillard, Petit Croix, Cunelières, Fontaine.

Le 12 mai partons à Foussemagne

 

Juin

Le 5 juin partons à Lauw.

Le 6 passons par Sentheim, Burbach-le-Haut, Rammorsmatt, Thann (ville bombardée, nombreuses maisons démolies). Etape rude par des chemins de montagne à forte pente au milieu des chaumes couverts de genêts ou dans les forêts de sapins. Grande halte dans une usine à Thann. Nous couchons dans l'usine sur l'asphalte.

Réveil le 7 à minuit, départ à 1h. Passons par Bitschwiller, Willer, Goldbach, Neuhausen à 900m d'altitude. Rude montée. Goldbach est évacué et bombardé. Neuhausen évacué par les habitants. Arrivée à 6h. Occupons en amont du village des baraquements en bois construits au flanc de la montagne. Jolie vue sur une petite vallée où coule un ruisseau, notre unique lavoir. Devant nous le ballon de Guebwiller (1428m) au sommet dénudé. Les hommes y apparaissent gros comme des fourmis. Les mulets du 2e artillerie de montagne vont ravitailler les troupes au sommet par des chemins escarpés, véritables sentiers de chèvre. En somme, bon début, bonne impression, bon air.

 

La nuit du 13 au 14 allons creuser un boyau en avant du ballon de Guebwiller, parti à 18h1/2, arrivé à 22h.

Rentré le 14 à 4h. Départ le soir à 16h. Allons occuper des tranchées sur le flanc est du ballon de Guebwiller. Tranchées de 2e ligne assez bien creusées, abris sous terre. La nuit il fait très frais, le jour beaucoup d'air. A côté de nous sont des pièces de montagne. Nous sommes à environ 1250m d'altitude. Devant nous s'étend la plaine d'Alsace. La nuit on aperçoit les lumières de Mulhouse et de beaucoup de petits villages. A notre droite et à environ 4km à vol d'oiseau, on aperçoit le célèbre « Hartmannswillerkopf ». Le sommet est complètement labouré par les obus. Les arbres sont fauchés, déchiquetés, ébranchés. Notre abri est creusé dans la terre, long 5m, larg. 1m6, haut. 1m. On est obligé d'y entrer en marchant sur les genoux. Des planches sur le sol, dessus une bonne couche de paille, voilà notre lit.

Jeudi 17 juin à 18h3 au-dessus de Willer vu un duel entre aéros français et allemand. Echange de coups de mitrailleuses. L'ennemi blessé descend en tournant au-dessus de Willer et s'abat dans un bois. Les deux aviateurs ennemis sont blessés mortellement. L'aviateur français est indemne. Pendant notre séjour au Ballon nous avons reçu plusieurs fois des marmites.

 

Juillet

Le 10 juillet partons au Sudel 1, notre section est en réserve dans un bois de sapins. Abri très fortement construit avec plusieurs épaisseurs de sapins gros comme un homme pour résister au bombardement. Corvées pénibles pour aller chercher la soupe aux cuisines et la porter aux tranchées (une demi-heure aller et autant retour). 3 sections aux tranchées qui sont très bien aménagées. De nombreux sapins sont coupés, hachés par les obus. Nombreux trous de marmites. Devant nous le sommet du Sudel 1 est labouré, forêt déchiquetée.

Le 13 vers 14h30 quelques obus nous arrivent. L'un d'eux éclate à 4m au-dessus de ma tête et de Dupuy alors que nous étions sur la porte d'un abri. Il coupe deux sapins : l'un d'eux, sectionné à environ 5m de hauteur, retombe et s'empique dans le sol.

Le 17 au matin allons aux tranchées : la vie n'y est pas rose car il pleut.

Le 20 sommes relevés par la 371e. Allons dans les maisons à l'auberge de Goldenmatt.

Le 30 quittons Goldenmatt. Passons par Goldbach, Willer, Moosch, St Amarin, Rampspach, Urbès. Nous couchons. Pluie au départ. Soleil ensuite. Etape pénible. Le soir ...... générale. (Le mot a été gribouillé par Gaston. Il s'agit apparemment du mot « cuite ».)

Le 31 à 10h départ de Urbès. Par une route à pente assez forte pente [sic] , nous arrivons à Bussang après avoir traversé le tunnel. A 15h embarquons en chemin de fer. Wagons à bestiaux non aménagés. Départ à 16h. Passons à St Maurice, Fresse, Le Thillot, Ramochampt, Ferdrupt, Rupt, Maxonchamp, Vecoux, Remiremont, St Nabord, Eloyes, Pouxeux, Arches, Jarmenil, Docelles, Chenimesnil, Deyeimont, Lépanges, Laval, Bruyères, Laveline, Aumontzey, Barbey-Leroux, Gérardmer . Couchons dans une école. Assez bonne nuit.

 

Août

Gérardmer.

Jolie petite ville en voie d'agrandissement avec de grandes et nouvelles rues droites mais encore peu bordées de maisons. Jolis magasins. Coquet petit parc avec kiosque à musique au bord du charmant lac enfoui dans les montagnes abruptes couvertes de forêts de beaux sapins. De nombreux et jolis canots sillonnent le lac. Vu successivement Xourupt, Longemer avec son lac plus petit mais semblable à celui de Gérardmer.

Le 5 à 4h départ. Embarquons à 5h dans des camions automobiles (20 par camion) qui nous conduisent un peu en arrière du col de la Schlutt au lieu dit le « Collet ». A 9h départ. Passons au col de la Schlutt, douanes, maisons de chaque côté de la frontière bombardées. Le versant alsacien des Vosges est abrupt. Très vastes forêts de sapins au milieu desquels la route décrit de nombreux zig zags. Défilé incessant des camions de ravitaillement et des ambulances automobiles. Quittons la grand route et par des sentiers en lacets grimpons au flanc d'une montagne. Toute la nuit nous pataugeons dans une boue grasse, collante, pour, au point du jour, arriver fourbus, exténués, en arrière de Lingekopf à 1h le 6.

Couchons en grand nombre sous les arbres faute d'abris. A 21h, réveil brusque à peine endormis ; à 22h départ. Allons occuper un autre camp plus en avant : baraquements en planches dissimulés dans une forêt de pins. Nous y sommes arrivés le 7 à 1h.

Le 7 à 22h départ, allons en réserve au « Linge » (autre nom du Lingekopf) . Boyaux souvent pleins de boue où nous enfonçons jusqu'aux genoux. De nombreuses marmites éclatent de tous côtés. Les balles sifflent. Arrivons vers 1h le 8. Couchons dans de petits abris. La forêt est complètement déchiquetée, de nombreux arbres sont abattus. C'est un fouillis inextricable de lianes, de branches de sapins souvent entremêlées de débris de fils de fer barbelés. Toute la journée du 7, nuit du 7 au 8, bombardements ininterrompus.

Le 8 à 10h revenons en arrière (camp Barbarin). Nous nous faisons canarder en passant dans les boyaux. J'en ai passé près.

Du 9 au soir au 11 matin travail dans les bois à transporter de grands arbres.

Le 13 à 20h quittons le camp Barbarin. Passons par les Hautes Huttes (Chapelle Ste Barbe), le lac Noir, le lac Blanc. Arrivons au camp de Tinfronce. Marche de nuit pénible, chemins boueux, caillouteux. Arrivée à 23h. Couchons deux sections ensemble dans de grands abris construits en planches couverts de carton bitumé. Deux bas flancs superposés et doubles, planches à paquetage. Râtelier d'armes. Fenêtres à glissières. Abris confortables. Bonne paille. Passé bonne nuit. Temps brumeux. On ne voit rien dans la forêt où nous sommes.

21 départ 12h. Passons par le col de Luschbach. Arrivée au col du Bonhomme 14h. A 18h allons aux abris situés immédiatement en arrière des tranchées. A 22h notre section va former plusieurs petits postes dispersés à 2 km en avant des tranchées; abris mal construits, on y entre en rampant, on ne peut s'y tenir assis. Il y pleut comme dehors. Nuit épouvantable. Notre poste s'appelle « la Grenouille » du nom d'une ferme. Dans le voisinage de nombreuses fermes ont été incendiées par les obus. Devant nous le village du Bonhomme également bombardé.

Tous les 4 jours allons à la Grenouille. Les autres jours sommes plus en arrière à la lisière d'un bois aux tranchées qui constituent la ligne de résistance. De temps en temps l'artillerie ennemie incendie une ferme. Nous creusons des tranchées et construisons des blockhaus.

Le 25 août 1915 (Tout le passage concernant le 25 août 1915 a été écrit sur un feuillet à part et non numéroté, pour des raisons que l'on comprendra aisément en lisant.) Le Commandant me fait appeler à cause de ma proposition comme caporal. Il me sert une ratatouille sur les antimilitaristes particulièrement les instituteurs, qui sont incrédules, antipatriotes. Tape sur l'instituteur de Foussemagne, « qui est franc-maçon, qui n'a pas fait baptiser ses enfants, qui s'occupe de politique ». Il vante les curés persécutés qui « traversent les mers pour venir défendre leur patrie ». A propos de l'incident Baltlogg, dit «Voilà l'éducation que donnent les écoles normales ». Il vante les écoles allemandes, les déclare meilleures que les françaises. C'est un haro général contre les instituteurs de l'école laïque.

 

Septembre

Le 3 à 11h incendie d'une ferme à 200m devant nous

Le 5 \\

Le 13 à 23h sommes relevés aux avant postes de la Grenouille par le 62e alpin. Marche de nuit.

Arrivée le 14 à 3h1/2 à Plainfaing (Vosges) au faubourg de Noiregoutte.

Le 15 départ à 4h. Passons à Prouze, Anould, Le Plafond, Corcieux, Vienville, Yvoux, Lachapelle, Laveline. Embarquons en chemin de fer. Wagons à bestiaux non aménagés. Départ 16h40. Passons Bruyères, Laval, etc. Arches, Dinouze, Epinal. Depuis Epinal voyage de nuit. Principales gares Aillevillers, Luxeuil, Lure, Champagney, Ronchamp, Belfort à 23h40. Débarquons. Marche de nuit.

Départ le 16 à 0h30. Passons Perouse, Bessoncourt, Frais, Fontaine. Arrivée 5h

Le 22 départ 5h. Passons à Foussemagne, Chavannes sur l'étang, Valdieu, Retzviller, Manspach. Vu le viaduc de Dannemarie démoli en mai par les obus ennemis. Plusieurs arches du milieu sont effondrées. La grande arche sur le Largue est endommagée. Aux abords énormes trous d'obus. Les nôtres ont tenté de construire une petite ligne pour éviter le viaduc. Elle a été aussi bombardée. Creusons des tranchées pour organiser défensivement le secteur Manspach St Léger.

Le 27 alertés.

Le 30 à 22h départ. Marche de nuit.

 

Octobre

Le 1er à 5h30 arrivée à Belfort. Embarquons au PLM . Wagons à bestiaux aménagés. Départ 6h. Passons Montbéliard, Besançon 1h30, Dôle, Chaussin, St Bonnet en Bresse (Saône et Loire), Louhans, St Amour, Bourg, Ambérieux, Montleuil [?] (Ain). Arrivée 10h30. Couchons dans un ancien pensionnat. Jolie petite ville un peu vieillotte. Anciennes maisons aux fenêtres sculptées. Petits carreaux. Air monacal.

7 Départ 5h. Passons Dagneux, Bressoltes, La Valbonne, Meximieux. Embarquons. Wagons à voyageurs de l'Etat Belge. Départ 10h. Triste. Beaucoup de femmes pleurent. Passons Lyon (Brottaux) 11h, Vienne (Isère) 12h30. Vieux château féodal. Rhône au lit encombré de bancs de sable. Coteaux à vignobles rive droite. Très beaux vergers où dominent les pêchers. Les mûriers apparaissent. A notre droite les Cévennes. Contreforts dénudés. Traversons l'Isère. Valence 15h. Apercevons à notre gauche les Alpes aux sommets blancs de neige. Montélimar 16h30. Traversons nombreux affluents de gauche du Rhône. Lits de galets, presque pas d'eau. Epis le long du fleuve pour arrêter le sable. Orange 18h15, Avignon 20h, Tarascon, Marseille le 8 à 3h.

Oliviers, orangers, figuiers, palmiers apparaissent. Jolies montagnes de l'Estérel rosées au soleil levant, leurs pieds se baignent dans la mer. Toulon 5h30. Débarquons du chemin de fer. Allons au port en contournant la ville. Embarquons sur l'« Indiana », 160m x 26m, paquebot italien. Curieuse façon d'embarquer les chevaux. Dans la rade, à quai, sont les paquebots « France », « Indiana », « Lutetia », « Lorraine », « Savoie » et plusieurs navires de guerre. Très beaux rochers des montagnes entourant la rade. Dans les entreponts du navire avons jolies petites couchettes composées d'une paillasse et d'un matelas mais sommes très serrés. A 15h30 un remorqueur décolle le navire du quai. A 16h départ. La musique joue « La Marseillaise ».

----------------------------------------------------------------------------------------

Le 9 5h. Passons entre la Corse et l'île d'Elbe. Curieux lever de soleil sur la mer. L'astre du jour est semblable à une masse de fer en fusion qui se détache sur le bleu noir de l'eau. Vu Montecristo. Loin sur notre droite les côtes de Sardaigne puis plus rien.

Le 10 5h longeons l'archipel maritime situé à l'ouest de la Sicile. Apercevons les côtes de cette dernière. A partir de cet endroit sommes précédés, la « Lorraine » et l' « Indiana », par un torpilleur. Les îles de l'Archipel Maritime ne sont que des rochers sauvages dont les seuls habitants sont les gardiens des phares. Rencontrons jolies petites barques de pêche siciliennes peintes en couleurs vives ; les voiles triangulaires apparaissent blanches sous les rayons du soleil. Des bandes de marsouins viennent s'ébattre autour du navire. Ils bondissent hors de l'eau.

Le 11 à part deux navires aperçus à grande distance, rien que la mer. Il fait très chaud. Nous sommes paraît-il peu éloignés des côtes de Tripolitaine.

 

Le 12 à 5h apercevons à courte distance les côtes de Grèce (presqu'île de Morée, cap Matapan, cap Mallet). Elles sont découpées, rocheuses. Marchons au nord. A partir de cet endroit sommes escortés par 5 contre-torpilleurs.

6h croisons vapeur anglais le « Borulos ». Les montagnes tout près de la côte sont très escarpées et presque complètement dénudées. Jolis petits villages enfouis dans les rochers à proximité du rivage.

Traversons l'archipel des Cyclades. Rochers presque nus, guère de végétation, quelques arbres. Petites maisons toutes blanches parsemées au flanc des rochers.

 

Le 13 toujours des îles. La mer a des teintes bien changeantes. Après l'avoir vue successivement pendant la traversée vert foncé, bleu indigo, bleu azur, elle est ce matin d'un vert pâle. Apercevons nombreuses barques de pêche grecques. Les villes et villages deviennent plus nombreux. Approchons du terme du voyage. Les matelots préparent la manÏuvre pour le débarquement.

En entrant dans la rade traversons une rangée de tonnelets placés à 6 ou 7m les uns des autres et marquant paraît-il l'emplacement de mines et de chaînes pour barrer l'entrée de la rade. Arrivons. Vue magnifique sur la ville (Gaston, d'habitude si généreux en indications toponymiques, a tout simplement oublié d'annoncer le nom de cette ville qu'il décrit si longuement ! On apprendra plus loin qu'il s'agit de Salonique.) qui est assise en amphithéâtre au bord de la mer. Très jolies maisons le long des quais où circulent des tramways électriques. Une ville citadelle aux remparts crénelés domine la ville. Des minarets émergent de la masse des maisons. Les dômes des mosquées brillent au soleil. Dans la rade sont au moins cinquante navires, paquebots, cargos, cuirassés, torpilleurs. Des marchands circulent dans de petites barques autour des navires. Ils vendent des citrons, des figues, du vin, du tabac, d'ailleurs fort cher, ce sont des Grecs.

Des remorqueurs nous prennent (car les navires ne sont pas à quai, ils calent trop) et nous débarquent sur un joli port encombré de chalands, de mahones (Mahone : chaland de port à formes très arrondies utilisé en Méditerranée)., chargés à couler bas.

Curieux costume des porte faix : chapeau cuir forme pêcheur d'Islande, espèce de blouse, pieds nus, jambières en cuir allant jusqu'aux genoux, sur le dos espèce de dossière à bretelle avec bourrelet sur les reins.

Costume de femme musulmane du peuple : pantalon en toile bariolée forme pantalon homme, par dessus deux jupons, camisole, comme coiffure un madras. Pieds nus, peau bronzée.

Curieux ânes turcs: très petits, 1m10 environ, bât allant du garrot jusque sur les reins. nes hindous petits aussi, bâts aussi hauts qu'eux.

Troupes anglaises, zouaves en kaki, artilleurs génie, fantassins en bleu azur, soldats grecs en kaki, casquette avec couronne royale brodée en jaune. Evzone (Evzone : soldat de l'infanterie grecque.) : pantalons collants avec jarretières en dessous du genou, chaussures sans talon en pointe terminées par un gros pompon noir, veston long kaki, chéchia aussi, ronde avec grand gland retombant sur l'épaule.

Le 371e défile en ville, musique en tête, le 372e suit. Passons devant caserne grecque. Le poste de police sort et rend les honneurs. Nombreux réservistes grecs. Quand le drapeau passe, ils rectifient la position, mais avec mollesse (c'est à leur habitude). Réquisitions grecques, bourricots disparaissant sous des balles de foin ou de paille. On n'aperçoit d'eux que les oreilles, les pieds et la queue. Ils trottinent toujours. Chars traînés par des bÏufs gris ou noirs à grandes cornes recourbées. Collier formé par quatre morceaux de bois assemblés et entourant le cou.

Très grande affluence sur notre passage. Costumes aussi nombreux que variés. A côté de femmes vêtues à l'européenne, presque à la dernière mode, femmes du peuple couvertes d'oripeaux bariolés. Perles dans les cheveux ou au cou, mouchoirs de couleur sur la tête, pieds nus ou chaussées de sandales. Porte faix assis sur le trottoir fumant la cigarette. Des artisans, forgerons, menuisiers, etc. travaillent dans des échoppes délabrées à côté de maisons presque modernes. Les quelques mercantis qui aux abords du port et le long de la route nous vendent gâteaux, fruits ou boissons parlent tous un peu français mais ce sont de vrais voleurs.

Allons camper dans une plaine au nord de la ville. Terrain absolument inculte à part quelques parties labourées qui étaient des champs de tomates. Quelques rares arbres au bord du lit d'un cours d'eau à sec. Rien que du gravier. Dans le camp, très nombreuses tentes : marabouts chez les Anglais, tentes à 6 chez les Français. Sur les quelques ondulations qui parsèment la plaine se voient d'anciennes tranchées, témoins des combats qui se déroulèrent autour de Salonique pendant la première guerre balkanique. Nous avons couché sur la terre cette nuit. Elle est légèrement dure et caillouteuse ici.

Vu défiler devant notre camp un régiment grec se rendant à la frontière. Ils marchent en chantant. Leurs sonneries de clairons sont bien semblables aux nôtres. Leur habillement est assez bon, point de jambières, chaussures plutôt mauvaises. L'armement et l'équipement sont un peu disparates. A côté du moderne fusil grec avec poignard baïonnette très court, on voit le fusil Gras français (Fusil Gras : modèle inventé en 1876, modifié en 1880, dont l'infanterie française était équipée.). Leur marche quoique régulière ne vaut pas le pas français comme allure dégagée.

 

15 Nombreuses troupes grecques arrivent par bateaux à Salonique. L'infanterie, surtout les evzones domine. Artillerie semblable à la nôtre. Quelques officiers français y commandent.

18 Les troupes grecques vont à la frontière en passant devant notre camp. Les régiments ont défilé ce matin. Aucune voiture régimentaire, comme chez nous. Tout, cantines d'officiers, matériel de cuisine, pelles et pioches de pare [?] , brancards, est porté à dos des petits chevaux genre arabe ayant 1m20 de haut.

La route qui va de notre camp de Zeitenlick à Salonique est bordée de chaque côté en entrant en ville par d'anciens cimetières musulmans désaffectés qui doivent être très vieux. Ils sont bouleversés. Les pierres tombales sont brisées, usées par le temps. Les cimetières sont d'ailleurs très nombreux autour de la ville.

 

Salonique se compose de plusieurs grandes rues parallèles à la mer et étagées et reliées entre elles par de petites rues transversales droites, souvent tortueuses, en pente, au pavé défoncé où l'eau de pluie ruisselle. Elles doivent en temps d'orage être de vrais ruisseaux bourbeux.

Aux abords du quai est le quartier européen avec de très belles maisons, hôtels, restaurants, banques, etc.

Dans le quartier turc, situé sous la citadelle de la partie haute, la ville prend animation. Tout le genre masculin est coiffé du fez et porte pantalon bouffant, veste courte, ceinture de couleur. Les Turcs cossus sont habillés à l'européenne. Leurs complets de bonne coupe sont complètement déparés par cet affreux fez rouge absolument comparable à un pot de fleur renversé. Peu de femmes voilées. Presque chaque maison a son moucharabieh ou balcon surplombant la rue et complètement clos, jalousies en bois découpé permettant aux habitants de voir sans être vus.

Quelques boutiques de marchands de légumes et de fruits. Les savetiers exercent leur métier sur le trottoir. Quelques passants quittent leurs chaussures pour les faire réparer et attendent.

Vers le centre de la ville se trouve le bazar composé de plusieurs rues couvertes d'une toiture. Il y fait sombre. Les magasins quoique petits y sont bien tenus et beaux et garnis de belle marchandise, bijouterie, draperie, mercerie, quincaillerie, cordonnerie, etc., etc. Chaque rue ou partie de rue a sa spécialité.

Vu les restes d'un très vieil arc de triomphe datant des anciens Grecs. Une voûte subsiste et traverse une rue. Les pitons sont couverts de très belles sculptures malheureusement détériorées ou brisées et représentant d'anciens guerriers grecs casqués et cuirassés se rendant au combat à pied, à cheval ou montés sur des chars. Jolies bordures de feuilles d'acanthe.

 

20 Suis allé au cinéma. Films avec annonces en français, anglais, italien ou grec. L'un d'eux représente l'entrée des Grecs à Salonique en 1912.

 

21 à 16h quittons le camp, 1h1/2 de marche pour embarquer au nord de Salonique. Partons 21h. Voyage de nuit. Rien vu. Marche lente, longue, stationnements dans les gares. Vers minuit, franchissons la frontière gréco-serbe.

22 à 5h. Remontons la vallée du Vardar. Petite plaine entre des chaînes de montagnes peu hautes. Beaucoup de terres incultes. Quelques vergers (figuiers, mûriers), un peu de vigne. Montagnes couvertes de broussailles et buissons. Peu d'arbres. Rochers déchiquetés, fouillés, couverts de lichen vert. A un endroit la vallée resserrée entre des rochers à pic n'a pas plus de 30m de large.

Les GVC serbes (GVC : « Garde voies et communication ». Pendant la guerre de 1914-1918, pendant que les jeunes étaient au front, les voies ferrées étaient gardées par les « vieux » qu'on appelait les « territoriaux ». Ils portaient un brassard tricolore avec l'inscription « GVC » sur leur habit civil. Gaston utilise ce terme français pour désigner une réalité semblable dans l'armée serbe.) dans des gourbis en terre couverts en paille entourés d'une petite tranchée assurent la protection de la voie ferrée (voie unique). Pays aspect misérable.

Arrivée le 22 10h à Krivolak, village turc misérable au bord du Vardar. 6 km à pied et arrivons à un autre village sur la rive droite du fleuve sur un plateau. C'est Négotin. Le village devait avant la 1e guerre de 1912 avoir environ 2000 âmes. Il en a à peine 1000 maintenant. La moitié des maisons ont été incendiées. Village en grande partie turc et bulgare. Quelques familles serbes. Champs bien cultivés.

25 Reconnaissance faite par la Compagnie vers le sud, vu trois petits villages et une jolie petite ville à 2 km du point d'arrêt. C'est Kavadar. Champs très bien cultivés, très beaux potagers avec quelques arbres fruitiers. Les paysans ont pour labourer une charrue très rudimentaire comparable à nos sarcleuses de France, un seul petit soc, point de roue, un mancheron. Avec cet instrument digne des temps préhistoriques, ils grattent à peine le dessus du sol qui heureusement est très friable et sèment, ils ignorent l'usage de la herse et malgré cela il y a de belles moissons. Ce pays, bien cultivé, produirait de l'or.

 

Novembre

Le 2 la Compagnie va remplacer le 23e en soutien d'artillerie au bord du Vardar. Sommes à côté de GVC serbes qui le soir nous guettent pour aller au combat. Nous chassons le lièvre.

Oke : poids serbe valant 1 kg 280.

Le 6 à 7h quittons notre petit poste que nous regrettons beaucoup. Arrivons station de Krivolak. Traversons le Vardar en crue dans des chaloupes que des hommes du génie font avancer à la rame, puis Pépéliste. Maisons en pierre et terre. Mosquée transformée en magasin à vivres pour nos troupes. Le minaret sert de poste d'observation. Remontons la rive gauche du Vardar. Ascension du mont Kara-Hodzali. Aspect sauvage, terrain dénudé. Véritable chaos de monticules séparés par des ravins profonds et formant autant de bassins de réception de petits torrents se jetant dans le fleuve. Montée de deux heures excessivement pénible par des sentiers à peine tracés et suivant souvent la ligne de la plus grande pente. A la nuit tombante allons aux tranchées relever le 244e. Tranchée solide. Quelques petits abris creusés sous le parapet. Nuit froide. Quelques coups de fusils.

Tous les jours un peu de bombardement et des coups de fusil. Des patrouilles de notre Compagnie sont allées plusieurs jours de suite à la nuit tombante ramasser les fusils des cadavres tués dans le ravin de Scéoba. Il y a paraît-il de nombreux cadavres, les blessés n'ont pas été ramassés. Beaucoup sont morts par la suite. Le 244e avait fait du bon boulot, le 65 montagne aussi.

Nuit du 25 au 26 poste d'écoute pendant 12h. Très froid. Vers 4h du matin, il neige.

Toute la journée du 26, nuit du 26 au 27, cela continue. Temps atroce. Les hommes ressemblent à des paquets de neige. Nous gelons dans nos trous. Jamais nous n'avons pareillement souffert du froid. Nous ne sentons plus nos pieds.

Nuit du 27 au 28 il neige toujours. Le vent en tourbillonnant emplit la tranchée, il faut manier la pelle pour la déblayer. Nuit atroce. Le matin beaucoup d'hommes à moitié gelés sont évacués par le major. A la 1/2 section nous restons 12 hommes à peu près valides.

Allons en réserve (notre section). Passons 3 nuits à peu près potables. Le jour corvée pour évacuer les munitions, cartouches, torpilles, puis les crapouillots (Crapouillot : petit mortier (canon) de tranchée utilisé pendant la guerre de 1914-1918.) . Restons 10.

 

Décembre

1er à 16h sommes relevés par le 6e Bataillon qui monte sans sac. Pour descendre, suivons le chemin que les pionniers ont fait à flanc de montagne au milieu de ravins et gorges épouvantables à voir. Chemin plein de neige et de boue. Nombreux zigzags. Descendons la rive gauche du Vardar. Arrivons à Pépéliste à 19h. Couchons dans une petite grange - paille - bonne nuit. 10 Français dorment leur dernier sommeil dans ce village maudit.

Le 3 à 17h quittons Pépéliste par des chemins pleins de boue et de neige fondue, véritables fondrières, marche de nuit. Passons à Vojan (évacué). Arrivons à Dubjeni. Marche de 3h très pénible. Arrivons exténués.

Dubjeni est évacué. Beaucoup de maisons en ruines, une seule très récente d'ailleurs a un aspect européen.

Le 1er décembre le 6e Bataillon est resté le dernier sur le sommet du Kara-Hodzali. Le 3 les Bulgares occupent les tranchées que le 371e a abandonnées près de Vojan.

Le 3 au soir à 18h, tirailleries aux abords de Dubjeni. Les Bulgares qui ont occupé Vojan s'avancent. Nous couchons dans maison. Turc très « rupin ». Distribuons viande cuite enveloppée ......... . (Le bas de la page est arraché. Tout ce passage depuis « Le 1er décembre le 6e Bataillon » est écrit d'une écriture large et peu soignée, sans doute due à la proximité du danger. Le morceau arraché l'a été dans les heures ou les jours qui ont suivi, car au verso, l'écriture s'arrête avant la déchirure.)

Le 5 à 7h départ. Suivons le Vardar, puis grimpons dans les montagnes escarpées, rocheuses. Sentiers en lacets. Rochers verts, bruns, rouge fer. Traversons petit vallon ayant bon aspect. Joli ruisseau bordé de grands platanes, carrés de maïs, vigne, vergers, mais les maisons du village (Grvdec) ont toujours l'aspect misérable. Rejoignons le Vardar à la sortie nord du défilé de Demir-Kapou. Longeons la rive gauche du fleuve en descendant. A 18h arrivons station de Stroumitza. Bivouaquons à proximité de la gare. Couchons sur la terre humide sans paille. Il fait froid. Mauvaise nuit après une journée fatigante.

Le 6 à 7h départ, traversons le Vardar au pont du chemin de fer près de Stroumitza. Longeons la rive droite du fleuve. Traversons rivière en sautant sur les pierres et nous appuyant sur nos fusils. De même pour de nombreux ruisseaux. La région que nous traversons a assez bon aspect. Les maisons sont mieux entretenues, les champs assez bien cultivés. Nombreuses plantations de mûriers, champs de maïs. Grand halte à . . . (Espace vide de la taille d'un mot, sans doute réservé en prévision d'une information complémentaire qui n'est pas venue.). La route a été assez bonne. Mais fatigués encore que nous étions de la veille, nous étions rendus en arrivant à 8h à Gievgelü. Traversons plusieurs petites ruelles au pavé inégal. C'est pour nous une vraie torture d'y marcher. Suivons la grand'rue où ô stupéfaction se trouve de distance en distance un bec électrique à arc. Couchons dans une caserne serbe. Sommes très serrés. Toute la Compagnie dans la même chambre.

Ces deux journées ont été très fatigantes. Nous avons parcouru 60 km avec 35 kg sur le dos.

Le 7 à 8h départ. Remontons vers le nord-ouest du cours d'une petite rivière affluent du Vardar. Toujours chemin très mauvais. Arrivons exténués à 20h au village de Serminima perdu dans la montagne. Ville pauvre habitée par population serbe. Maisons démolies. Les toits en tuiles demi-rondes sont surchargés de pierre. Entre les maisons de grandes treilles sous lesquelles on circule. Les habitants couchent pêle-mêle avec les chèvres et les moutons. Nous achetons des poules 1 ou 1,5 (L'abréviation de l'unité de monnaie est indéchiffrable (un petit trait)) pièce . Avons couché dans un réduit sur de la paille. Assez bonne nuit. Autour du village quelques petits postes pour nous garder sur les crêtes.

Le 9 à 5h départ, retournons à Gievgelü. Arrivée 12h. Couchons encore à la caserne serbe.

Le 10 à 7h départ, suivons grand'rue. Quelques belles maisons mais très rares. Passons la gare. Traversons le Vardar sur un très beau pont en fer, une rareté de la région. A 8h arrivons au village de Bogodoroka où nous restons le jour.

Le 12 à 5h reconnaissance vers Djakovo, puis passons à Selinli, premier village grec. Avons franchi la frontière vers 11h. Arrivée 1h au village de Békirli.

Le 13 à 11h départ. Allons. Notre Bataillon va former une ligne d'avant postes sur des collines à 7 ou 8 km à l'ouest de la voie ferrée. Couchons sous la tente deux nuits.

Le 15 à 8h quittons nos avant postes. Il a plu toute la nuit. Arrivons à la voie ferrée que nous longeons. Couchons sous la tente près d'un village en ruines.

Le 16 8h départ. Marchons au milieu des terres détrempées. Il pleut. A 14h arrivons près d'un village en ruines. Montons nos tentes par une pluie battante. Nous sommes trempés jusqu'aux os. Passons la nuit couchés sur la terre humide. C'est une nuit épouvantable.

Le 17 départ à 6h. Chemins toujours mauvais. Traversons toujours des ruisseaux. Arrivée à 15h à Alihodzalar. Sommes cantonnés. Nous pouvons un peu faire sécher nos effets.

18 à 12h, départ. A 15h, arrivons près d'un village à moitié démoli. Couchons sous la tente sur un terrain boueux.

Nous nous trouvons maintenant à environ 15 km au nord ouest de Salonique, près du village de Kjorzine. Toute la région de la Macédoine grecque que nous avons traversée depuis Gievgelü jusqu'ici est presque plate. Les ondulations du terrain sont à pente très allongée. Tout les villages que nous avons vus sont ou partiellement ou totalement démolis. A part quelques lopins de terre labourés on ne voit que ronces et chiendent. C'est la terre de la désolation.

Nuit du 20 au 21 il pleut à torrents. Nous sommes presque inondés sous nos tentes.

21 Allons camper sur une colline à environ 20km de Salonique. De là apercevons la ville et la rade où sont de nombreux navires.

24 le soir en réunissant quelques provisions reçues dans des colis, nous faisons un petit réveillon dans notre tente à six.

 

25 Allons camper un autre camp plus près de la voie ferrée Salonique-Doïran. Creusons des tranchées nombreuses garnies de fil de fer barbelé qui feront de Salonique un camp retranché garni d'une nombreuse et grosse artillerie. Nos 3 divisions sont employées à ces travaux. Les aéroplanes boches viennent presque chaque jour en reconnaissance et survolent la ville.

30 un taube (Taube : avion allemand en forme d'oiseau (« taube » = « pigeon »)) lance une bombe sur un parc à munitions au nord de la ville. Un avion-canon le poursuit inutilement d'ailleurs

 

 

1916

[ Pour l'année 1916 et le début de 1917, il y a deux versions, une sur feuillets où les jours se suivent (version « recopiée » ?), et une sur un agenda pré-daté au milieu des listes de vivres à acheter pour le régiment (version « à chaud » ?). Ces versions diffèrent parfois. La version transcrite ici est la version sur feuillets ; on trouvera en notes les variantes de la version agenda ]

Janvier

7 Plusieurs taubes viennent lancer des bombes sur les camps français où ils font 7 victimes et sur la gare de Naris.

 

Février

1er Un dirigeable allemand (zeppelin) est venu pendant la nuit lancer 14 bombes sur Salonique causant beaucoup de dégâts et faisant une quarantaine de victimes. Le même jour un aviatik a été abattu près du camp d'aviation de Topsin.

2 Quinze de nos avions vont rendre aux Bulgares (« boches ») la monnaie de leur pièce.

16 Un avion ennemi (« albatros boche ») tente de survoler nos lignes. Accueilli par le feu de nos batteries et rebrousse rapidement chemin. Pendant sa retraite, il est attaqué par un de nos avions qui en quelques coups de mitraille l'oblige à atterrir dans nos lignes.

 

Mars

18 2h Un zeppelin profitant d'une nuit sombre tente de survoler Salonique. Accueilli à coups de canon, il est contraint de s'enfuir (« rebrousser chemin ») sans avoir pu atteindre la ville. En se sauvant (« en s'enfuyant ») il lance quelques bombes qui tombent en pleins champs, n'ont causé aucun dégât.

23 Vingt-deux de nos avions sont allés bombarder les positions bulgares vers Doïran et ont abattu un avion ennemi (« Un avion ennemi est abattu »). Au retour un de nos appareils est tombé dans le lac de Doïran.

24 Nouveau bombardement par nos avions sur Gievgelü. Un taube (« un avion ennemi ») est abattu.

27 5h Réveil en fanfare. Une vingtaine d'avions ennemis survolant Salonique lancent de nombreuses bombes causant de grands dégâts et tuant de nombreux civils grecs. Canonnés furieusement puis poursuivis par nos avions, 4 taubes sont abattus ; 3 tombent dans nos lignes, le quatrième dans les lignes ennemies.

30 Occupons un grand baraquement colonial en bois couvert carton bitumé. Isolateurs forme cage à poulets (en branches de palmier) ; par dessus, nattes en roseaux, notre peau de bique et nos couvertures, et nous avons une couche hygiénique quoique un peu dure (ce à quoi nous sommes habitués depuis fort longtemps d'ailleurs)

 

Avril

13 Une escadrille de nos avions est allée bombarder les campements et batteries allemands vers Bogorodika au sud de Gievgelü.

16 Une escadrille de nos avions va bombarder les cantonnements ennemis vers Gievgelü. Pendant ce temps un taube survole nos lignes et est canonné.

 

Mai

4 Passe à la 18e Compagnie.

5 A 2h un zeppelin tente de survoler Salonique. Attendu et accueilli par les canons, il est abattu presque immédiatement. Il s'engloutit dans la mer près de l'embouchure du Vardar. L'escadrille de Kukutch a également abattu un taube.

A 5h quittons notre camp où nous avons séjourné 4 mois 1/2. Passons à Ali-Hodzalar, Karabunar. Arrivée à Sari-Göll à 12h. Campons aux abords du village. Journée très fatigante, chaleur accablante. Beaucoup d'hommes sont restés en route. Assez nombreuses troupes anglaises : Hindous au teint bronzé et enturbannés faisant le ravitaillement dans de petits arabas (Arabas : charrette traînée par un mulet.) traînés par de jolies mules grises.

6 A 4h30 départ. Passons à Kukutch (Lilkotch). Petite ville de 4 à 5000 habitants, population très mélangée. Toujours petites maisons basses mais assez propres. Beaucoup de boutiques, la plupart fermées. Quelques grandes bâtisses neuves (camp d'aviation). Tout un quartier est détruit, probablement de la dernière guerre balkanique . La ville est bâtie au pied d'une colline conique surmontée d'une église (chapelle St Georges) qui avec les murs qui l'entourent ressemble plutôt à une citadelle.

Arrivée à Alexsia à 11h. Petit village sur le Spanck affluent du Galiko.

La région que nous traversons est une succession de petites collines à pente faible mais de plus en plus élevées et serrées les unes contre les autres à mesure que nous approchons de la chaîne du Khrusia-Balkan (« Belech-Planina (Belasica-Planina) ») . Le terrain est mieux cultivé qu'aux environs de Salonique. Il y a d'assez jolies prairies, quelques arbres et vestiges de forêt, des plantations de mûriers.

16h Un avion ennemi a survolé notre camp. Accueilli à coups de mitrailleuses et de canons, il s'enfuit.

7 7h Réveil par une bombe d'aéro ennemi qui s'enfuit aussitôt. Pas de dégâts.

8 Un taube vient encore survoler notre camp. Canonné, il s'enfuit.

10 Bulgares se sont rendus ainsi que 3 prisonniers russes. Ont été emmenés les premiers par les Grecs, les seconds par nous.

Les Bulgares qui habitent le village de réfugiés des environs de Stroumitza ont été évacués vers l'arrière (« La population du village, qui était toute bulgare, est évacuée ») . Départ lamentable. Carrioles de toutes espèces traînées par des buffles ou des bÏufs et chargées de quelques hardes, nattes, vivres, ustensiles de cuisine. Les hommes assez grands, maigres, toujours mal vêtus, la cantine rouge bourrée d'objets hétéroclites, pain, tabac, couteaux. Les femmes plutôt petites mais bien prises et d'assez jolie figure vêtues d'une camisole et d'une jupe bleue doublée de laine, la tête entourée d'un mouchoir noir, pieds nus. Elles portent leur bébé dans une espèce de sac derrière le dos.

10 4h Quittons Alexsia. Passons à Snevce. Arrivée à 12h dans un ravin. Les Compagnies vont prendre leurs emplacements d'avant-postes. Notre Compagnie est en réserve. Nous sommes à quelque distance du village de Popovo d'où l'on aperçoit le lac du Doiran.

Le terrain devient montagneux mais est néanmoins bien cultivé et beaucoup plus boisé. Nous sommes sur le versant septentrional du Khrusia-Balkan (altitude moyenne point culminant 800m) que nous venons de traverser et séparés par une plaine d'une dizaine de km de largeur de la chaîne du Belech-Planina, haute muraille abrupte d'une hauteur moyenne de 1200m, dont la crête forme la frontière gréco-bulgare. Cette plaine où coule la Strouma (« La Strouma prend naissance dans cette vallée. ») (et son affluent de droite la Butkova) est marécageuse, couverte d'arbres éparpillés mais point de forêts. Les villages y sont nombreux.

11 Avons passé une assez bonne nuit tapis sous des buissons, roulés dans nos couvertures. Une patrouille de uhlans s'est approchée de Popovo. Un cavalier a été tué, un autre blessé et fait prisonnier.

[ Il manque ici 5 feuillets ; la période manquante est complétée uniquement à l'aide de la version agenda, quand elle existe ]

15h Quittons nos emplacements, retournons en arrière. arrivée 20h30 au village de Snevce à quelque distance d'Alexsia.

Les Français ont occupé le fort de la Dova-Tépé. Pour protéger le mouvement sur la gauche, nous avons fait cette reconnaissance sur Popovo.

12 Chez les Bulgares les femmes ne sont pas voilées. Les hommes. Beaucoup d'enfants. Troupeaux de vaches, ânes. Tout cela en vive couleur sous le chaud soleil d'orient était pour nous un tableau vraiment merveilleux.

Toute cette population va être évacuée sur l'arrière.

Les Turcs avec leur tempérament apathique ont l'air de se faire peu de mauvais sang. Les Bulgares, particulièrement les femmes, sont plus déprimés, ont l'air inquiets. Hier soir à l'approche de la nuit chaque famille ou groupe de famille avait construit un abri en branchages en forme de tonnelle. Toutes les femmes assises à la turque nous tournaient le dos. Les hommes rôdaient autour. A voir toutes ces personnes de dos regardant leur abri, on eut cru revivre une ancienne scène biblique. On eut dit que tous assistaient à quelque office de leur religion.

13 Départ. Traversons de nouveau le Khrusia-Balkan. Terrain de mieux en mieux cultivé. Villages petits mais nombreux enfouis dans la verdure. Petites futaies de chênes. Tabac surpris dans les jardins.

Arrivée 9h à Todorovo au débouché d'un vallon dans la grande vallée entre le Khrusia et le Belech-Planina où coule la Butkova, affluent de la Strouma. Campons dans un ancien cimetière turc sous de grands arbres.

Avons joui d'un curieux spectacle. Une bande de réfugiés grecs, turcs et bulgares campe dans le village. Hommes déguenillés coiffés du fez enturbanné. Femmes ayant un pantalon comme les hommes, pieds nus, un grand voile blanc ou bariolé de toutes les couleurs serré sur la tête par un turban, à la taille par une ceinture. Elles se voilent la face à notre approche. Jolies couvertures de laine rouge, bleue, noire, jaune, verte, brune. Nombreuses femmes surveillées jalousement par (La suite manque. J'imagine qu'on peut compléter par « leurs maris ».)

15 La Compagnie va aux avant-postes à 3 ou 4 km de Todorovo.

[ On n'a malheureusement rien pour la période de mi-mai à juillet ; en revanche, de nombreuses photos figurent dans l'album pour juin et juillet 1916, toutes dans les environs de Todorovo : comme Gaston cite cette localité juste avant et juste après cette période manquante, on peut conjecturer que les hommes y ont campé sans effectuer d'opération militaire particulière. Cette conjecture est confirmée par la lecture des journaux de Joannès Dessertine et d'Alexandre Plaforêt (en lien sur la page d'accueil de Gaston Nitzer) ]

 

 

Août

17 Poroï le haut et le bas que le 244e tenait il y a environ deux mois et qui avaient été abandonnés ont été repris aujourd'hui. Le 244e s'est emparé de Poroï-le-haut et du monastère qui le domine. Le 5e Bataillon de notre régiment a pris Poroï-le-haut.

20 5h La Compagnie quitte les avant-postes et retourne à Todorovo.

20h Départ pour Matnica. Passons par la route d'Anadolibi, la vallée d'Akbuzalik. Sugovo. Arrivée le lendemain matin à 4h à Matnica.

La route a été dure, mauvais chemins caillouteux. Souvent on trébuche contre les pierres. Heureusement la nuit était assez claire.

21 5h Commençons l'escalade d'un piton dominant le village. Aucun sentier. Montons à pic dans les rochers et les broussailles. Les pauses doivent être longues et très fréquentes bien que nous soyions sans sac. Les hommes portent des piquets et des rouleaux de fil de fer. Le sommet du piton est occupé vers 15h par une de nos sections et une section de mitrailleuse. Toute la nuit travaillons à creuser des tranchées au sommet. Parapet en pierre et en sac à terre.

22 10h Les Bulgares bombardent Matnica avec des fusants (Fusant : dispositif qui fait éclater le projectile en l'air, avant le choc.) . Puis c'est le tour de Poroï-le-bas.

A 23h sommes relevés par une Compagnie du 242e. Retournons directement de Matnica à Todorovo.

Arrivée le 23 à 15h.

26 Partons de nouveau pour Matnica. Arrivée à 24h. Même chemin suivi que précédemment.

Dans un village avons mangé une grande quantité de fruits: raisins, figues, prunes, pêches.

30 4h Sommes relevés sur nos positions par la 12e Compagnie du 62e régiment d'infanterie italienne.

20h Départ de Matnica. Arrivée Todorovo 23h.

31 5h Départ de Todorovo. Allons camper sur une petite colline dominant le moulin de Dzar en remontant la vallée de Todorovo. Arrivée 8h.

 

Septembre

1er 4h Départ. Remontons la vallée de Todorovo. Retraversons le Khrusia-Balkan. Passons à Baïsili, Karamudli, Snevce. Campons dans un bois à proximité de Kebedzeli. Arrivée 11h.

2 6h allons camper dans un vallon à quelque distance du village de Rajanovo (vallée du Galiko).

6 Rassemblement du bataillon à Rajanovo. Départ 15h. Arrivée 17h à Séréceli.

7 5h Départ. Arrivée Gramatina (vallée du Spanck, affluent du Galiko). Le village de Gvaené [?] est presque complètement en ruines.

8 Départ de Gramatina à 8h. Arrivée à Kukutok 11h. Au moment du départ un orage d'une violence inouïe se déchaîne. C'est la douche et le bain de pieds.

10 Départ 8h. Allons embarquer à Sari-Göll. Partons 11h30. Salonanli [?], Narès, Salonique. Arrivée 14h. 14h30 vers Monastir : passons Tékélé, Kiradjalov, Platy, Guida, Verria. Arrivée à Niaoussa (Niaoutsa) le 11 à 1h.

Toute la région traversée depuis Salonique est très plate, parfois marécageuse (beaucoup d'oiseaux aquatiques) et d'une façon générale mal cultivée. Les villages sont assez nombreux. Seuls les abords immédiats des villages sont cultivés. Couchons dans un hangar à bois.

11 18h Redépart en chemin de fer. Arrivée à Verria à 20h. Grande animation en gare. Camp russe. Superbes gaillards bien vêtus, belle allure. Cantonnons à Verria distante de la gare de 3km.

Verria : 15000 habitants, assez joli, petites ruelles, vieilles maisons, quelques bâtiments modernes, marché dans la rue principale. Beaucoup de fruits et légumes du pays. Nombreuses boutiques de marchands et artisans.

Couchons dans une école.

12 10h Départ. Marchons vers le sud-sud-ouest. Rude côte à grimper. Heureusement bonne route. Arrivée 23h (12 km). Campons près d'un village détruit.

13 14h Je pars avec le campement, 28 km, rude côte de 15 km puis descente de 13. Point culminant atteint : 1580 m. Route assez bonne mais bordée de nombreux précipices, contours très brusques.

Arrivée 20h près du village de Kardzalav dans un petit vallon pierreux entre de hautes collines les unes complètement dénudées, les autres couvertes de broussailles.

14 4h Départ, 22 km, route sans pente assez bonne. Arrivée Kardzalav 8h. Vallée plus large que précédemment, champs bien cultivés, villages nombreux et enfouis dans la verdure. Les habitants fument leurs champs, ce que je n'ai jamais vu en Macédoine.

16 5h Départ. Suivons une piste assez bonne, puis une route de Cazam à Florina (je crois). Arrivée 11h à Kajalar. Petite ville assez importante. Nombreuses maisons détruites. 22 km.

17 6h Départ. Marchons toujours vers le nord.

9h Vu le lac [?] d'Ostrovo où des combats se sont déroulés récemment entre Serbes et Bulgares. Arrivée 16h30 à Ajtos au pied des monts Malarekas. 25 km.

18 8h Réveil en sursaut par la générale. Une demi-heure après départ précipité. Par des sentiers de chèvres grimpons. A mi côte trouvons une assez bonne route à pente faible par laquelle nous nous acheminons vers le sommet.

Traces de combat : chargeurs bulgares vides, pansements sanglants.

Redescendons la montagne. Passons à Negovani, joli petit village, population non grecque. On approche du canon. Nous exécutons un mouvement tournant vers l'ouest de Florina. Passons à Kukuvani. Arrivée 16h au village de Mohala évacué et que les Bulgares ont abandonné précipitamment la veille. Canonnade et fusillade assez violente face à Florina. (25 km).

Toute la nuit fusillade violente par intervalles.

19 16h Allons au sud-est de Florina en réserve de la 156e D2. Couchons à la belle étoile. Le lendemain creusons des abris dans un champ de maïs.

20 20h Marchons toujours vers l'est. Arrivée à 22h au village de Posonica.

22 20h La Compagnie va aux avant-postes à quelques centaines de mètres du village de Sozanica au sud de Florina.

23 Relève des avant-postes à 24h.

24 Départ. Allons à 4 km à l'ouest de Florina. Traversons la ville au lever du jour. Quelques jolies maisons, rues mal pavées, vu peu de chose.

Nous sommes sur la route de Florina à Monastir, accrochés au flanc de crêtes situées au nord de la route et parallèles à elles. Les Bulgares tiennent les crêtes.

 

Octobre

3 Dans la nuit du 2 au 3 les Bulgares ont abandonné les crêtes dominant au nord la route de Florina à Monastir. Mouvement en avant.

20h Départ. Repassons à Florina, puis marchons au nord. Arrivée le lendemain 1h à Kladérop. Joli petit village mi grec mi serbe. Maisons proprettes blanches, tuiles rouges. Couchons à l'école.

4 12h allons à Bitusa. Arrivée 20h. Marchons vers le nord.

5 6h Départ. Cela pète [?] dans la plaine où nous allons. Arrivée 10h à Obstrina.

6 20h Les Compagnies sont parties à Dragos en territoire serbe. Un peloton de la nôtre est resté à Obstrina.

[ Fin de la période complétée uniquement à l'aide de la version agenda ]

9 Rejoint le peloton de Dragos (Serbie)

11 20 h Quittons Dragos, nous dirigeant vers l'est. Traversons la grande plaine au sud de Monastir. Elle est plate et nue. Puis obliquons au sud-est. Arrivée le lendemain 2h à Vrbeni (Grèce) à l'est de Florina. (20 km).

13 21 h Les compagnies vont aux avant-postes à environ 6 km au nord de Kénalik-le-bas (« Kenalik-le-petit ») . Je vais ravitailler la nuit avec la cuisine roulante.

14 Dès le jour, violent bombardement. C'est un roulement continu comme une fusillade. Nous arrosons les lignes ennemies. Une brigade coloniale est lancée à l'attaque (« L'attaque a été donnée ») . Echec : les réseaux n'étant pas détruits (+ « Nombreuses pertes, surtout chez les coloniaux et les Sénégalais »). La préparation d'artillerie a été notoirement insuffisante. Notre bataillon qui était en réserve a eu quelques tués et blessés (+ « (2600 hommes hors de combat) »).

20 Le régiment (« Le bataillon ») est relevé des avant-postes et va au repos en arrière à Vakufkoj à 1 km à l'ouest de Vrbeni. Il pleuvait à torrent. Terrains détrempés, ruisseaux enflés par l'orage. Nous en traversons un avec de l'eau jusqu'aux genoux.

24 7 h Allons à Florina. Arrivée à 11h. Logeons dans la partie est de la ville. Petite ville toute en longueur de l'est à l'ouest dans une vallée peu large et encaissée entre de hauts sommets. Maisons plutôt vieilles. Echoppes d'artisans et de marchands dans la rue principale. Rues au pavé inégal, bosselé. Seul le quartier des consulats sur le bord de la rivière a quelques bâtiments modernes. Population mélangée. Nombre d'habitants qui avaient fui ne sont pas encore revenus.

29 5 h Quittons Florina. Marchons au nord. Repassons à Kladérop, Klestina-le-haut, puis marchant (+ « franchement ») à l'ouest arrivons à Buf à 13h. Village encaissé dans les montagnes. La vallée qui y conduit a quelque ressemblance avec celle de Serminina (Décembre 1915) mais moins sauvage, mieux cultivée. Le village assez grand a bon aspect. L'hôtel de ville est un bâtiment vaste, moderne (« La maison commune où est l'école est un bâtiment très moderne »), et détonne à côté de vieilles masures. Population grecque.

30 6 h Notre compagnie quitte Buf et grimpe dans les montagnes en arrière du 6e bataillon qui est aux avant-postes. Arrivée 10h au col de Buf (+ « Pluie battante pendant tout le trajet »). Sommes complètement mouillés, exténués, et encore des mulets ont-ils porté nos sacs. 1500m d'altitude, vent glacial (« Nous sommes à 1500 m d'altitude ; un vent glacial souffle presque constamment »), le brouillard est dense, il pleut et neige. Nous avons reçu (« touché ») les peaux de bique : elles sont les bienvenues.

 

Novembre

3 3 h Nous quittons le col de Buf pour nous rendre aux avant-postes relever le 6e bataillon : trois heures de marche toujours en montée sont nécessaires. Nous occupons une série de pitons à la frontière gréco-serbe (« gréco-bulgare »). Le nôtre a 2100 m d'altitude. L'ennemi occupe en face une autre série de pitons plus élevés et entourés de tranchées continues et de réseaux. Tous ces sommets sont dénudés. Le bois de travail et de chauffage est amené du col de Bref à dos de mulet.

4 Le panorama est superbe. A l'ouest le lac de Presba aux eaux d'un bleu noir apparaît encaissé entre de hautes montagnes (« couronnées de neige »). Dans le lointain les pics désolés et neigeux de l'Albanie. A l'est et au sud la grande plaine qui s'étend de Florina à Monastir est une immense mer de brouillards d'où de distance en distance, semblables à des îlots, émergent quelques collines.

7 6 h Sommes relevés aux avant-postes par le 6e bataillon. Arrivée à Buf 9 h.

11 23 h Remontons aux avant-postes (même point)

14 6 h Sommes relevés sur nos positions par le 64e régiment d'infanterie italienne (même division que le 62e qui nous avait relevés à Matnica). Redescendons à Buf.

15 5 h Quittons Buf. Redescendons dans la plaine, repassons à Klestina-le-haut, Kladérop, Vakufkoj, Vrbeni puis revenons à Vakufkoj (« où nous couchons »). Le bataillon est resté à Kladérop. (25 km).

16 8 h Départ avec le CHR et le 7e bataillon. Repassons près Kenalik-le-bas . A la frontière rejoignons le bataillon. Arrivée à 12h à proximité de Negocani où nous bivouaquons (« campons ») . Pluie et neige, routes boueuses, mauvaise marche. (10 km)

17 6 h Départ. Passons à Négocani, Petka. Arrivée à Dragos 9 h. Couchons dans l'église.

19 8 h Départ. Longeons le pied des montagnes dans la plaine. Un immense arc en ciel apparaît et durera toute la journée (Cette phrase n'apparaît que dans la version feuillets).

9 h Franchissons les premiers réseaux et premières tranchées de la défense de Monastir.

12 h Franchissons les deuxièmes lignes.

15h30 Entrée en ville par le quartier grec et serbe. Nombreuse affluence. Les habitants ont l'air heureux de notre arrivée. Dans le quartier turc, moins bon accueil. Les principales rues avaient déjà des noms boches. Gare en partie démolie ; casernes serbes incendiées.

17 h Couchons au nord-ouest de la ville à environ 1 km (« au flanc d'une colline »).

La ville a été évacuée le 18 à 24h ; le 19 à 6h il y avait encore des patrouilles bulgares. La cavalerie française y est entrée la première suivie d'infanterie russe (« La cavalerie russe y est entrée la première »). Nous avons fait notre entrée musique en tête (Cette phrase n'apparaît que dans la version feuillets).

Grande ville dans la plaine au pied des montagnes. Une vingtaine de mosquées dominant la ville de leurs minarets ; les deux plus grandes au centre ont des dômes. Dans le quartier grec et serbe quelques bâtiments modernes assez jolis. Population très mélangée : Serbes, Grecs, Bulgares, Turcs, Roumains, Albanais, Tziganes, Juifs (Cette phrase n'apparaît que dans la version feuillets). Comme toujours rues tortueuses et mal pavées. Les environs de la ville sont assez bien cultivés.

20 7 h Départ. Gravissons des montagnes. Franchissons un col et arrivons au petit village de Rastany à environ 4 km au nord de Monastir. Dans ce village, les Bulgares ont abandonné un petit dépôt de vivres (« oignons, sel, farine, savon, foin, avoine en assez grande quantité »). Attaquons une crête au nord de ce village. Quelques obus au sommet pour disperser l'ennemi et nous l'occupons et nous organisons.

24 6 h Sommes relevés aux avant-postes par le 371e . Redescendons à Rastany.

27 9 h. Gravissons des collines au nord-ouest du village, après de nombreux détours dans des ravins arrivons en arrière des tranchées du 6e Bataillon ; 800 m en avant un piton solidement fortifié (cote 1248) (sur la cote 1248, voir le message en morse dans les annexes : Annexes du Journal) où sont les Bulgares.

A 15 heures après préparation d'artillerie partons à l'assaut. Arrivons jusqu'à l'ouvrage ennemi. Sommes obligés de refluer dans nos tranchées à 16h.

A la Compagnie, 26 hommes hors de combat sur 80.

28 5 h Redescendons à Rastany (7h).

 

Décembre

8 23 heures Le 5e Bataillon va relever le 7e aux avant-postes (Piton Martin)

9 Les bureaux des compagnies vont à Monastir.

13 Une de nos saucisses (Saucisse : ballon aérostatique) est descendue par un avion boche. L'observateur descend en parachute.

24 Le bataillon est relevé des avant-postes et redescend à Monastir. Arrivée le 25 à 2 heures.

30 22h Le bataillon remonte aux avant-postes.

 

 

1917

Janvier

3 21 heures Le bataillon est relevé des avant-postes au centre Martin et descend à Monastir.

7 La Compagnie va dans le grand ravin de Rastany travailler à des abris.

9 19 h Aux avant-postes Centre Martin.

14 23 h Relève. Au repos à Monastir.

20 21 h Montons au centre Rivière. Il neige, un vent glacé (« cinglant ») souffle en rafales. A certains endroits la piste disparaît sous la neige. Les habits (« imprégnés de neige ») sont gelés, marche pénible. 3 heures au lieu de 2 ont été nécessaires pour monter.

30 Relève. Au repos à Monastir.

 

Février

5 Remontons Centre Rivière.

13 Relève. Monastir.

19 Montons en deuxième ligne Centre Schmidt.

 

Mars

3 1 h Sommes relevés. Descendons à Monastir. Passons à Bukovo, Kristofov. Arrivée 7 h, marche pénible, chemins boueux ou neigeux (+ « Les capotes imprégnées de neige sont gelées »).

6 Quittons Kristofov. La Compagnie remonte au Centre Rivière.

7 Suis évacué. Couche au GBD (GBD : « Groupe de brancardiers divisionnaires ») à Monastir.

8 7 h Quittons Monastir emmenés dans des autos d'une ambulance américaine. Arrivée 8 h ambulance de Sakulevo.

12 h Départ train de ravitaillement (wagons à bestiaux).

17 h Arrivée à Ekchisu dans une ambulance. Sommes servis par de jeunes Annamites. Le camp de l'ambulance est bien installé et aménagé, éclairé à l'électricité.

9 5h30 Embarquement wagons à bestiaux avec paille. Passons Sarovitch, longeons le lac d'Ostrovo. Ostrovo-gare. D'Ostrovo à Vertékop le terrain est accidenté ; la voie ferrée décrit de nombreuses courbes, s'engouffre sous des tunnels ou franchit des ravins sur de frêles ponts métalliques. A Vodena de charmantes infirmières grecques nous distribuent thé, pain frais, cigarettes. Vertékop : arrêt des 3 heures près d'un hôpital anglais très bien installé (« très chic »). Un repas nous est servi (Cette phrase n'apparaît que dans la version feuillets). Vu 6 Autrichiens blessés et faits prisonniers par les Italiens. Leur aspect est misérable, l'un d'eux est un véritable avorton.

Arrivée à Salonique 19h. Suis dirigé sur l'hôpital temporaire n°11. Jolie installation : tentes elliptiques, baraques Adriant avec jardinets et plates bandes alentour, éclairage électrique, bains, douches, bon couchage, bonne nourriture.

21 13 heures Quittons l'hôpital dans des autos qui nous emmènent au port. Montons sur un bordeur qui nous conduit à bord du bâteau hôpital Dugay-Trouin (ancienne école des mousses (« école navale »)). sous-officiers logés à part dans de petites cabines à 8 ou 10. Lits superposés à balançoires.

22 10 heures Le Dugay-Trouin quitte le port. Adieu Salonique.

25 6 heures . Entrons dans le détroit de Messine. Vu l'Etna au sommet couronné de neige. Messine et ses ruines. Les îles Lipari et parmi elles Stromboli et son volcan qui lance fumée et vapeur.

----------------------------------------------------------------------------------------

27 10h Arrivée à Toulon dans l'arsenal maritime. A 13h quittons le Dugay-Trouin. Un train nous attend au quai. 15h : départ vers la Côte d'Azur.

28 Arrivée à Nice. De la gare, des tramways nous conduisent aux différents hôpitaux. Je vais à l'Hôtel Belgravia (hôpital complémentaire n°50)

 

24 avril

Pars en convalescence et permission (41 jours). Arrivée à St Hippolyte 25 avril 1917.

[??] [juin?]

[Rejoint ?] [??????]

Arrivé le 8 à la 26e Compagnie. (Tout ce passage est tout en haut d'une page. Pour la 1e ligne, le papier est déchiré et pour la 2e l'encre est décolorée par de l'eau...)

 

28 août

Pars en permission de détente 11 jours délai compris.

 

14 octobre

Pars en permission transition jusqu'au 14 novembre

 

Décembre

3 Pars à la Compagnie d'entraînement. Départ Montluçon 7h11, arrivée St Bonnet de Rochefort 9h, puis Ebreuil 10h.

5 20h Quittons Ebreuil. Allons embarquer à Sannat . Passons Clermont-Ferrand, puis Vertauzon. De là un tram nous conduit à Billom.

16 Vais à Issoire faire un stage de grenadiers (Cf. annexe). Arrivée le 17 à 8h.

23 Retourne à Billom.

 

 

1918

Janvier

9 Quitte Billom pour Sannat à 18h, se faire habiller. Destination 21e Compagnie.

10 Départ de Sannat à 7h. Moulins, Nevers, Cosne, Clamecy, Auxerre, Larsche, Chatillon-s-Seine. St Dizier (11 janvier à 19h), gare regulatrice . Couchons (camp de la tambourine)

12 Départ de St Dizier à 20h par train de ravitaillement. Arrivée Lemmes (Meuse), puis Vadelaincourt à 9h13.

17 Quittons Vadelaincourt à 8h, embarquons à Lemmes 10h. Débarquons à Vaubecourt [?]. Puis 15 km à pied et nous arrivons à 18h à Seigneulles.

23 Suis affecté au régiment 17e Compagnie laquelle est à Marat-la-Grande.

26 Notre bataillon part en camion à destination de Jouy-en-Argonne. Arrivons à 13h. Pas de civils. Exécution des travaux.

20 8h Départ à pied. Passons à Brocourt-Auzéville. Arrivée Clermont-en-Argonne 13h. Localité aux 3/4 démolie. Couchons dans des baraquements.

21 8h Départ à pied. Passons aux Grandes et aux Petites Islettes, le Neufour, le Claon. Arrivée 13h à Florent (Marne)

A 16h je pars reconnaître les emplacements de caserne. Les Compagnies y arrivent le lendemain. Ce sont de vastes sapes où peuvent loger jusqu'à 300 hommes. Nous sommes à 21km des tranchées.

28 Le Bataillon monte en ligne au nord de Vienne-le-château. La Compagnie est en réserve à 1km des tranchées.

 

Mars

7 En première ligne. Petits postes encagés. Assez bonne installation. Terrain très bouleversé mais anciennement. Peu de marmitage. Quelques torpilles.

14 Revenons au repos au camp du Rond-Champ.

21 Montons en ligne, secteur Rondinage à droite du précédent. Section en réserve jusqu'au 27.

28 En 1e ligne, ravin de la Houyotte.

 

Avril

Nuit du 1er au 2 Torpilles à gaz, alerte.

Nuit du 3 au 4 Plusieurs violentes rafales d'obus nous arrivent.

4 19h Sommes relevés. Allons au camp des Hauts-Bâtis au sud de Vienne-la-Ville.

8 Revenons au Rond-Champ.

11 Le Bataillon monte en ligne. PC (PC : « poste de commandement ») Cavierir [?]. Compagnie en réserve au chemin rouge puis ravin des pommiers.

28 En réserve au Rond-Champ

 

Mai

5 Secteur la Tour d'Auvergne en 2e ligne 1 semaine.

12 1e ligne.

19 Retour au Rond-Champ.

26 La Compagnie remonte en ligne.

Les 26, 27, 28 cours de gaz CID (CID : « centre d'instruction divisionnaire ») Camp du Souniat.

Nuit du 30 au 31 vers minuit: tentative de coup de main par l'ennemi. Bombardement assez intense par torpilles et torpillettes. L'ennemi n'a pu aborder nos postes.

 

Juin

9 Relevés. Allons au Ravin de la Coinche.

12 A Florent, reçu c.d.g. avec cit. (« c.d.g. avec cit. » = « croix de guerre avec citation »). Médaille créée le 8.4.1915. La croix de guerre est conférée aux militaires qui ont obtenu, pour faits de guerre, une citation à l'ordre d'une armée, d'un corps d'armée, d'une division, d'un régiment, etc. Plusieurs citations obtenues pour des faits différents se distinguent par autant d'étoiles ou de palmes. à 20e Bataillon) par général Hirschaaer.

16 A Coinche Nord, bombardement pendant la soupe du soir.

18 16h Sommes relevés par 57e Régiment. Partons dans un camp à 2km au sud de Florent.

 

Juillet

1er A 5h quittons le camp Florent 2 à pied, passons à Ste Menehould, Elises, Dampierre-le-Château, Dommartin-s-Yere. Arrivée 12h. Nous sommes dans le pays de la craie.

2 22h Quittons Dammartin-s-Yerre et par le même chemin revenons à Moiremont. Arrivée le 4 à 4h. 23km.

4 Quittons Moiremont à 21h. Arrivée en ligne Centre Carrière à 1h le 5. 24h à l'ouvrage Duchaussoy et revenons en réserve à la Sapinière.

9 Remontons à Duchaussoy.

10 A 15h quitte les lignes pour partir en perm. 22km à pied. Arrivons gare de Villers-Dancourt.

11 2h45 Départ. Faveresses.

27 Permission terminée. Départ de Ste Hippolyte à 5h. Dijon, Sens où je couche, puis le lendemain Troyes (Aube), Coulommiers (Seine et Marne), Noisy-le-Sec, puis Vaires, Torcy, où j'arrive à 1h le 29 et où je couche.

Le 29 Départ de Vaires à 15h par Noisy-le-Sec. Arrivée à Ferté-Millon 22h, je couche.

Le 30 partons en auto d'occasion. Passons Neuilly, St Front, Grisolles. Nombreuses traces de combat. Rocourt, Coincy-l'Abbaye 17h. Dans un petit bois au nord je retrouve les sergents-majors. J'apprends qu'à la Compagnie il reste 1 sergent et 25 hommes. En mon absence la division a attaqué et progressé mais avec des pertes sérieuses.

 

Août

3 Rejoint la compagnie au village de Bruyère passablement ravagé. Une vingtaine de civils étaient restés. L'ennemi a abandonné sur le terrain beaucoup de matériel, il a reçu une bonne ptte [ ?]. Fais [?] fonction É [?] Bataillon.

4 Le régiment quitte Bruyère et va cantonner à Brécy.

8 Direction du sud. Traversons plusieurs petits villages démolis, puis Château-Thierry fort abîmé, le pont écroulé sera remplacé par un pont de fer, pont provisoire de bateaux. Sommes logés au camp d'Etampes à 1km au sud de Château-Thierry. Fais le campement à bicyclette.

9 5h Quittons le camp d'Etampes et nous rendons à Le Monial, petit hameau près Montfaucon, 15km au sud de Château-Thierry.

10 Départ 5h. Arrivée 10h hameau de Chalendon, commune de Montolivet, à 15km à l'ouest de Montmirail (Seine et Marne).

15 Régiment Lossord.

17 A 0h quittons Chalendon. Passons Montolivet, St Barthélémy, La Ferté Laucher, Jouy-s-Morin. Arrivée à 5h. Embarquement à 12h. Départ à 14h. Coulommiers, Noisy-le-Sec, Pantin à 19h, Creil, puis direction Beauvais jusqu'à Many, puis à pied à Angy. Arrivés le 18 août à 3h au CID (CID : « centre d'instruction divisionnaire ») du 1er.

19 3h Quittons Angy pour St Aubin. Arrivée à 10h.

20 Revenons au CID.

21 à 23h Départ pour rejoindre le régiment. 16 km très pénibles et nous arrivons à Rozoy au bureau du colonel. Suis affecté au 1er Bataillon. 6 km à pied et arrivée à Sacy-le-haut à 12h. Vais à 2e Compagnie.

27 Quittons Sacy à 11h. Arrivée à Pont St Maxence à 13h30 pour embarquer. Départ 18h. Passons Creil, Martin, Noisy-le-Sec. Troyes le 28 à 5h. Bar-sur-Aube, Bolonne, Neufchâteau, Mirecourt, Epinal, Arches, Remiremont, Le Thillot à 23h. Là, des camions nous prennent et nous emmènent par Bussang et le tunnel à Moosch dans la vallée de la Thur.

30 18h Montons aux tranchées dans un ravin sur le flanc gauche de l'Hartmannswillerkopf. Relevons le 19e Régiment, arrivée 24h.

Pendant notre séjour en ligne, un c. de m. (c. de m. : « coup de main ») a été exécuté sur la 3e au sommet de l'Hartmannswillerkopf. La suite de notre relève : bombardement. J'ai failli y passer. Egratignure à l'oreille.

 

Septembre

21 Sommes relevés. Allons au repos à Wesserline dans une usine convertie en caserne. Installation médiocre.

 

Octobre

2 Remontons en ligne sur le versant nord de l'Hartmannswillerkopf, face à Uffolhz.

17 Sommes relevés par les nègres américains (369e RI). Arrivés à Thann 24h.

18 Prenons les camions à 13h à Bitschwiller. Par la route Joffre, passons Rammorsmatt, Masevaux. Arrivée Nederbruck à 17h.

20 6h30 Départ à pied. Passons Masevaux, Rougement-le-Château. Arrivée Giromagny à 13h. 23 km.